lundi 4 janvier 2010

Press any key to continue...


D'aussi loin que je me rappelle, dans les milieux informatiques anglais, on raconte une histoire amusante où l'utilisateur d'un ordinateur lit à l'écran la consigne « Press any key to continue » (Appuyer sur n'importe quelle touche pour continuer) et puis demande, « Where is the any key? » (Où est la touche n'importe quelle ?). Aussi cocasse que la blague puisse paraître, aussi bête que la personne puisse avoir l'air, il y a un autre aspect de l'histoire qui soulève, du moins pour moi, une question : celle de savoir lequel d'entre nous mérite le qualificatif stupide.

Entre 1986 et 1993, je donnais des cours sur presque tous les aspects de l'informatique. Travaillant comme enseignant à temps partiel, je me rendais dans huit collèges techniques dans le sud de l'Ontario où je traitais l'emploi des ordinateurs, la programmation, l'histoire de l'informatique et l'utilisation de certains logiciels comme Microsoft Word et Wordpefect. Malgré un autre poste à temps complet, je suis arrivé à accumuler plus de trois mille heures dans une salle de classe.

Pendant cette période de ma vie, j'ai eu l'occasion de vivre l'histoire amusante mentionnée ci-dessus. À ce moment-là, je travaillais dans un hôpital où je m'occupais de la maintenance de certains systèmes informatiques. Un jour, une des secrétaires m'a téléphoné pour me demander où se trouvait « the any key ». Sa question m'a laissé perplexe; si perplexe que j'ai décidé d'aller à son bureau pour voir moi-même l'écran de son ordinateur. Une fois là, j'ai lu à l'écran cette consigne fameuse d'appuyer sur n'importe quelle touche pour continuer. Avec un assez grand effort, j'ai évité de pouffer de rire et j'ai expliqué à cette secrétaire le vrai sens de la consigne.

Cependant, j'ai cogité par la suite sur la raison qui aurait pu expliquer pourquoi cette personne n'avait pas compris la consigne. Il m'est venu à l'esprit que l'on sait si peu sur un sujet, on ne peut même pas bien formuler une question correctement. Au premier coup d'œil, je peux facilement dire que la personne n'est pas intelligente. Néanmoins je me suis rendu compte que quand on est cent pour cent ignorant d'une chose, ce qui est évident pour une personne, ne l'est pas nécessairement pour quelqu'un d'autre. Quand on n'est pas expert en la matière, quand on en est tout à fait ignorant, les concepts les plus simples peuvent être incompréhensibles.

Un sage a dit un jour qu'il n'y avait pas de questions stupides, qu'il n'y avait que des réponses stupides. Après un peu d'expérience dans la vie, je suis arrivé à comprendre que cet adage est un bon conseil pour un enseignant, pour n'importe quelle personne qui offre de répondre à une question. En donnant une leçon, l'enseignant doit toujours garder en tête la perspective de la personne qui vient de commencer la leçon, qui ne sait rien, qui est probablement accablée par une surcharge de nouvelles informations et qui ne s'y retrouve plus. En répondant aux questions d'un étudiant, l'enseignant doit se rappeler ce que c'est de ne rien savoir. Si l'enseignant peut se le rappeler, il serait mieux préparé à trouver la bonne explication pour répondre aux questions d'un étudiant.

Nous avons tous eu l'occasion de mal réagir à une bêtise : rire, jeter un regard dégouté, faire des réprimandes. Pourtant, je pense qu'il nous faut un peu d'humilité, un peu de gentillesse parce qu'il existe toujours des circonstances dans lesquelles nous pouvons tous nous montrer bête.

En 1972, j'ai suivi un cours de calcul à l'université. À l'école secondaire, j'avais suivi des cours de mathématiques, mais je peux dire que je n'étais pas très fort en la matière. Le calcul était pour moi, incompréhensible et c'était là où j'étais la personnification de cette expression amusante : Les maths et moi, ça fait deux. J'étudiais bien, je cherchais à faire des travaux supplémentaires, je prenais même des leçons particulières avec le professeur de mon cours. Néanmoins je me rendais bien compte que je ne comprenais pas la matière; je répondais machinalement. J'arrivais à la bonne réponse non pas parce que j'avais raisonné et trouvé la bonne réponse, j'arrivais à la bonne réponse parce que la question était semblable à une autre question que j'avais déjà résolue. Je n'avais pas du tout saisi le concept, l'idée, le calcul nécessaire pour trouver la bonne réponse. Au cours des années suivantes, j'ai compris que le calcul exige un certain niveau de pensée abstraite que je ne possède pas.

À la fin du cours, je suis arrivé à réussir avec une note de 72 % ce qui indiquait très bien mon manque de compréhension. Oui, j'ai été admis mais sans avoir réellement compris quoi que ce soit. Mais pourquoi je ne comprenais pas ? J'étais toujours assis au premier rang dans la salle essayant de ne pas manquer un seul mot d'instruction exprimé par le professeur. Mais cela était égal. En effet, juste à côté de moi, il y avait un gars qui obtenait constamment 98 %. Il m'a dit plusieurs fois que le calcul était pour lui si facile, il ne lui était pas nécessaire d'étudier. Il m'avait même avoué que parfois il venait dans la classe après avoir fumé du cannabis. Je ne comprends pas comment il pouvait réussir comme ça, surtout sous l'influence d'une drogue. Je blague maintenant en disant que c'était peut-être ça qu'il me fallait dans cette classe : fumer de la marijuana !

À un moment dans le cours, le professeur a présenté le concept de nombre imaginaire. Sans expliquer l'idée à fond parce que je ne la comprends pas moi-même, je me contenterai de dire qu'il s'agit d'un nombre complexe noté par la lettre i en italique « i », la soi-disant unité imaginaire, dont la racine carrée vaut -1. Je me rappelle encore que j'ai parlé avec le professeur après sa présentation en me plaignant de la difficulté que j'avais à me repérer parmi les nombres soi-disant « réels » et il osait présenter les nombres « imaginaires » ? Me voilà, William au pays des merveilles.

Je reviens à cette « n'importe quelle » touche. Je peux rire de cette personne qui m'a demandé où se trouve cette touche. Toutefois, je sais que le professeur de mon cours de calcul et mon collègue de ce même cours auraient pu rire de moi et de mon inaptitude à saisir le moindre concept de cette branche de mathématiques. Je comprends très bien le sens de cette phrase « Appuyer sur n'importe quelle touche. », pourtant je ne suis pas de taille à faire face au calcul. Ha! Peut-être que tôt ou tard, nous pouvons tous nous trouver dans des circonstances où nous sommes « Forest Gump », le protagoniste éponyme du film américain, une personne ayant un esprit lent.

Je ne comprends pas comment i ou n'importe quel nombre pourrait avoir -1 comma sa racine carrée cependant on m'a donné à entendre que cette idée est importante dans certains domaines du génie civil. Puisque je vois des exemples du génie partout, je pourrais dire que je suis entouré par i sans en être conscient. Je ne comprends pas la quantique mais j'en reconnais l'importance si je considère l'énergie atomique. C'est là que je trouve le frustrant et l'amusant. Je suis assez intelligent pour reconnaître qu'une chose existe soit l'unité imaginaire, soit la quantique en voyant la pratique de ces concepts dans ma vie de tous les jours. Mais je ne suis pas assez intelligent pour comprendre ces choses. Le calcul, la quantique et moi, ça fait trois. Ce niveau de pensée abstraite dépasse tout à fait les bornes de ma matière grise. Qu'est-ce qui est frustrant ? Reconnaître qu'une chose existe sans être capable de la comprendre. Qu'est-ce qui est amusant ? Reconnaître qu'une chose existe sans être capable de la comprendre : je suis assez intelligent pour reconnaître que je ne suis pas intelligent. Ha !

Tout bien considéré, voilà la morale de mon histoire. Parfois, nous sommes tous un peu trop promptes à nous moquer d'une personne qui, ne comprenant pas quelque chose, pose une question qui pourrait avoir l'air un peu stupide. Gardons en tête qu'il y a toujours des circonstances dans lesquelles nous pouvons nous trouver où nous posons nous-mêmes une question qui pourrait aussi avoir l'air un peu stupide aux yeux de quelqu'un d'autre, quelqu'un qui est juste un peu plus intelligent que nous.

2010-01-04

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