jeudi 26 novembre 2009

Hyères 2009

Du 25 septembre au 17 octobre 2009, trois semaines au total, Elise et moi avons suivi un cours d'immersion à Hyères, France. Nous avions décidé de faire d'une pierre deux coups en essayant de mélanger des vacances et de l'apprentissage, c'est-à-dire, passer du temps en France, dans un pays que nous aimons beaucoup, et apprendre un peu le français, une langue que nous aimerions mieux parler.

Pourquoi Hyères ? Avant de faire quoi que ce soit, ma femme et moi avions fait des recherches sur Internet pour découvrir l'état de choses : quelles écoles existent, quel est le prix d'un cours, quelle sorte d'hébergement est disponible, si telle ou telle école suit le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) ? En plus, puisque nous voulions y aller en automne pour éviter la chaleur d'été, nous voulions un endroit assez agréable pendant cette saison.

En fin de compte, nous avons choisi l'Institut d'Enseignement de la Langue Française sur la Côte d'Azur, autrement appelé par l'acronyme ELFCA. Notre raison pour ce choix était tout simplement une question de coût : les autres écoles étaient chères en comparaison de celle-là. Cependant, après nous être décidés à sélectionner cette école ELFCA, nous avons appris qu'elle offrait un rabais hors saison et en plus, un rabais spécial de 50 % sur un deuxième étudiant. Nous avons encore de la difficulté à croire que nous avons versé aussi peu pour un séjour de trois semaines. La première école que nous avions trouvée, hautement recommandée, voulait nous prendre deux fois et demie de plus !

Je donne un résumé de notre réservation à l'école :
  • trois semaines au total
  • des cours de 8h30 à 12h30, du lundi au vendredi
  • l'après-midi : un séminaire sur divers sujets au moins deux fois par semaine
  • l'après-midi : accès libre au laboratoire de langues
  • hébergement : une grande chambre avec salle de bains attenante
  • 2 repas, 7 jours par semaine : petit déjeuner et dîner
  • notre hôtesse faisait notre lessive
Au total, nous avons payé à peu près trois mille six cent dollars canadiens. Si j'ajoute le prix de nos billets d'avion, nos déjeuners, l'argent de poche, quelques dépenses supplémentaires, la location d'une voiture pour un week-end et une nuit dans un hôtel, des cadeaux pour notre famille, je peux dire que notre voyage d'études ou« notre formation de plaisance » n'a pas coûté très cher, moins de sept mille dollars canadiens au total. Pour mieux comprendre si c'est cher ou non, je peux comparer notre voyage avec un autre. Je viens d'entendre que ma fille et son petit ami ont fait des réservations pour un lieu de vacances à Cuba : une semaine pour deux personnes tout compris pour la somme totale de deux mille dollars canadiens.

Jusqu'ici je parle de la« quantité » de notre voyage, le coût du voyage, ce que l'école nous a offert, maintenant je veux parler de la qualité de notre voyage, du pour et du contre. En général, l'école ELFCA était un bon établissement d'enseignement. Le bâtiment remontait au début des années 90 mais les lieux étaient en assez bon état. Le personnel était gentil, les professeurs étaient enthousiastes. Le laboratoire de langues avait un recueil d'exercices enregistrés sur bande par une des propriétaires de l'école, un recueil que j'ai trouvé compréhensif, intéressant et éducatif. La cafétéria de l'école offrait des déjeuners bon marché et nous y mangions tous les jours.

Les cours donnés comprenaient des exercices de grammaire, d'écoute, des dictées et surtout de la conversation. Tous les professeurs, toutes des femmes, étaient aimables, enthousiastes, sympathiques. Quand même une chose curieuse, une que j'ai retrouvée dans tous les cours que j'ai jamais suivis, était que je passais la plupart de mon temps dans ces cours à écouter les autres étudiants, c'est-à-dire des personnes essayant d'apprendre la langue. J'ai trouvé cette constatation un peu amusante. Les autres étudiants et moi nous aurions dû écouter des locuteurs natifs pour mieux apprendre la prononciation, le vocabulaire, la syntaxe, etc., cependant nous étions tous en train de nous écouter les uns les autres y compris nos balbutiements, nos fautes, nos propres accents. Après réflexion je ne pense pas qu'on puisse éviter ce phénomène. C'est une caractéristique inhérente à une salle de classe remplie d'étudiants : nous sommes tous dans le même bain.

Ma femme était à un niveau intermédiaire et j'étais à un niveau avancé et par conséquent, nous n'étions pas dans la même classe. Son cours avait peut-être plus de structure tandis que ma classe insistait plus sur la conversation et était plus libre. Mes professeurs cherchaient à faire converser les étudiants en parlant des nouvelles, en posant des questions aux étudiants sur leurs expériences à Hyères et aussi en dévoilant une partie de leurs propres vies. C'est là que j'ai entendu des nouvelles intéressantes sur l'école.

Au cours de 2009, le monde a dû faire face à deux crises : la crise économique et la pandémie de la grippe A. En conséquence, il y avait une baisse dramatique du nombre de voyageurs dans le monde et l'école en souffrait elle aussi en voyant une diminution notable d'inscriptions. Plus d'un professeur m'ont fait mention d'une certaine inquiétude si l'école resterait ouverte ou non. Nous étions hors saison et je m'attendais à voir moins d'étudiants néanmoins on m'a dit que le nombre d'étudiants était habituellement supérieur. Voilà un bon exemple de l'effet domino : ces deux crises ont eu des répercussions sur cette petite école de langue située bien loin de ce que nous appelons les centres importants du monde. À ce moment-là, j'ai compris la raison pour laquelle l'école nous avait fait cette offre d'un rabais de 50 % pour un deuxième étudiant : elle cherchait à attirer de nouveaux étudiants en leur donnant une raison convaincante de voyager.

Cette question des crises et les effets y afférents m'a semblé plus important encore quand je me suis mis à regarder de près le coût de la vie en France. Je viens d'essayer de trouver des statistiques sur ce sujet, une comparaison entre la France et la Canada, mais mes recherches sur Internet ont été infructueuses. Par conséquent, je me contente ici de faire part de quelques observations faites pendant mon temps à Hyères.

L'essence était deux fois plus chère en France qu'au Canada. En achetant quelque chose, soit un café, soit un sandwich, je devais garder en tête que le prix était en euros. Probablement que le nombre d'euros que je payais pour une chose était égal au nombre de dollars que je payais au Canada pour la chose en question. À ce moment-là, un euro était égal à 1,6 dollars. Un café à trois euros me coûtait cinq dollars canadiens ! Compte tenu de ce décalage évident des prix entre la France et le Canada, me femme et moi nous demandions comment les Français se débrouillaient financièrement. Si j'ajoutais à cela la baisse de voyageurs dans l'école, je comprenais que le personnel pourrait avoir du mal à joindre les deux bouts.

L'école offrait des choix d'hébergement et nous avons choisi d'habiter avec une famille française pour profiter d'« une immersion totale » comme le site Web de l'école indiquait. Les seules conditions que nous avons ajoutées à notre demande étaient d'avoir une salle de bains attenante, d'avoir une famille sans enfants et d'avoir accès à un lave-linge. En pensant à la famille choisie, je peux dire que l'école a bien réussi à exaucer nos vœux.

Notre chambre avait une entrée privée, une salle de bains attenante et avait aussi accès à une petite cour derrière la maison où je passais assez souvent une ou deux heures l'après-midi à étudier. Cependant, l'aspect le plus important de notre famille d'accueil était les repas et le temps supplémentaire qu'ils nous accordaient pour mettre en pratique nos connaissances du français. À l'école pendant notre séjour, je comparais nos expériences avec celles d'autres étudiants et à mon avis, les étudiants qui avaient décidé de rester dans un hôtel ou de partager un logement avec un ami qui parlait probablement la même langue qu'eux, manquaient l'occasion d'interaction importante avec des locuteurs natifs. J'ai dit à ma femme que j'avais l'impression que chaque repas était un mini-cours, une leçon particulière que nous n'avions pas payée. J'ajoute ici que notre famille était très gentille, aimable et bavarde. Assez souvent nous passions deux heures à table à causer de tout et n'importe quoi.

Un autre service de l'école dont nous avons profité était l'achat de deux bicyclettes. Oui, j'ai bien dit l'achat et pas la location. D'abord, j'ai trouvé cet arrangement un peu bizarre mais à la réflexion, j'ai compris les avantages pour les parties prenantes. L'école vend une bicyclette à un étudiant. À la fin de la semaine, l'étudiant revend le vélo à l'école. Entre-temps, la bicyclette est la propriété de l'étudiant, pas celle de l'école. Les implications légales pour l'école sont que l'école n'est pas obligée de souscrire à une assurance pour l'étudiant. Si l'étudiant se blesse, c'est la faute de l'étudiant. Si la bicyclette est volée, c'est l'étudiant qui perd de l'argent. Si l'étudiant a un accident, c'est l'étudiant qui est responsable, pas l'école.

Ma femme et moi avons acheté deux vélos et ne les avons gardés qu'une semaine. Le seul ennui dans cette affaire était que nous devions payer l'école comptant. Cela voulait dire qu'il nous fallait apporter assez d'argent pour acheter deux vélos à 115 euros chacun. Ensuite, l'école nous a rendu cent euros pour chaque bicyclette; le coût d'une bicyclette n'était que de quinze euros par semaine. Avoir assez d'argent en espèces n'était pas grand chose, mais c'était une chose supplémentaire à ajouter à notre budget.

Tout bien considéré, nous avons trouvé notre voyage en France très intéressant, très agréable. En ce moment nous ne savons pas quand nous allons y retourner, mais nous avons bien l'intention d'y retourner un jour.

2009-11-26

Personne disparue

Je lis un titre en gros dans un journal qui indique qu'une personne est portée disparue. L'article donne des détails sur la personne en question en expliquant que sa famille n'a pas la moindre idée de ce qui s'est passé. La police n'a trouvé aucune trace de cette personne disparue et maintenant la famille et la police veulent s'assurer de la collaboration du public en distribuant aux médias des photos et des informations sur cette personne disparue. Où est cette personne ? Il semble qu'elle ait disparu de la face de la terre. Comment se peut-il qu'une chose pareille arrive ?

En vacances aux États-Unis, j'achète un carton de lait. Sur le carton figure la photo d'une petite fille avec sa description et les circonstances de sa disparition. Selon le texte, ses parents ne l'ont pas vue depuis deux ans. Où est-elle ? Qu'est-ce qui lui est arrivé ? Comment est-il possible que cette fille disparaisse sans laisser de trace ?

Je viens de faire des recherches préliminaires sur Internet et je vois que ce phénomène existe partout dans le monde. Il est curieux de noter que d'après les experts, la grande majorité des personnes disparaît à dessein. Des difficultés financières, un mauvais mariage, un crime commis, il y a pléthore de raisons qui peuvent expliquer pourquoi une personne prendrait la décision de partir sans en prévenir personne. Pour les proches qui restent, d'après les journaux, il y a l'immense douleur de la famille délaissée, obligée de demeurer dans l'incertitude, tracassée par le sort de leur être cher. C'est le besoin important de découvrir la vérité qui éclaircit la disparition de la personne en question.

De même, pour nous le public, il y a le besoin important de résoudre l'énigme d'une histoire irrésolue, sans dénouement. Selon mes recherches, il y a pas mal de ces histoires qui n'ont jamais de conclusion, qui restent à jamais non résolue.




En Amérique du Nord, le nom de Jimmy Hoffa est synonyme de ce mystère d'un disparu jamais retrouvé. En tant que chef d'un syndicat américain, Hoffa est devenu très connu pendant les années 60. Il a participé à certaines activités illégales, a eu des liens avec la Mafia et a même passé du temps en prison. En 1975, il disparaît et son corps n'est jamais été retrouvé. Depuis cet événement, la simple évocation de son nom rappelle l'idée d'un disparu, au moins au Canada et aux États-Unis où l'histoire est assez bien connue. Dans des situations plutôt comiques à la télé on y fait référence : le protagoniste ouvre quelque chose, un placard, une malle ou autre chose et quelqu'un d'autre lui demande « Qu'est-ce que tu as trouvé ? Jimmy Hoffa ? »





Une autre histoire d'un disparu jamais retrouvé est Amelia Earhart. Cette aviatrice américaine essayait de faire le tour du monde en avion quand elle disparut en mer le 2 juillet 1937 dans l'océan Pacifique. Malgré quatre mois de recherches par une dizaine de navires et une cinquantaine d'avions dépêchés par le gouvernement américain, aucune trace de l'appareil n'a jamais été détectée. Jusqu'ici, personne n'a élucidé le sort de Mme Earhart.

D'autres histoires, en fin de compte élucidées, montrent à quel point il est difficile d'éclaircir ce genre de mystère. Le monde est petit selon le dicton mais il est également grand et c'est dans cette grandeur qu'une personne peut se perdre ou être cachée par quelqu'un d'autre.




En 1991, une jeune fille américaine de onze ans, Jaycee Lee Dugard fut kidnappée. Elle fut retrouvée 18 ans plus tard, en 2009. Pendant tout ce temps, elle était séquestrée par un couple, maintenue captive dans un cabanon de jardin où elle a eu deux filles avec son ravisseur, un délinquant sexuel connu des services de police. Le kidnappeur est maintenant derrière les barreaux pourtant on se pose la question de savoir comment le kidnappeur a réussi à cacher son rapt si longtemps.




En 2007, l'aventurier américain Steve Fossett disparut pendant un vol qu'il effectuait seul dans l'état de Nevada aux États-Unis. Après un mois de recherches intensives, les autorités ont cessé l'enquête. Un an plus tard, par hasard, un randonneur trouva trois documents ayant appartenu à M. Fossett. Quelques jours plus tard, la police a trouvé l'épave de l'avion et par la suite, elle a confirmé, selon les tests ADN, que les ossements retrouvés près de l'épave étaient ceux de Steve Fossett.

Deux cas où on n'a jamais retrouvé les disparus, deux cas où on a retrouvé les disparus, un encore vivant. Cependant, la totalité des disparus dans le monde pourrait être stupéfiante si on ne considérait le petit nombre de cas énuméré ci-dessus que comme la partie visible de l'iceberg. Un article que j'avais trouvé sur Internet indique qu'il y a chaque année un million de disparus aux États-Unis, 275.000 en Angleterre et 35.000 en Australie. Si ces chiffres sont vrais, c'est incroyable.

Bien qu'ayant essayé, je n'ai pas pu trouver des chiffres définitifs pour le monde entier, cependant des articles suggéraient que le total mondial serait des dizaines de millions, sinon une centaine de millions de personnes pourraient être portées disparues chaque année à travers la planète. C'est un nombre inconcevable qui dépasse complètement mon entendement. Sommes-nous totalement inconscients de ce phénomène qui de toute évidence n'est pas rare mais au contraire commun et quotidien ? En sommes-nous si ignorants ?

J'ai constaté parmi tous ces articles sur les disparus, surtout ceux parlant des enfants disparus, que les cas qui sont résolus finissent assez souvent par démasquer un prédateur sexuel. Je laisse les experts expliquer l'état d'esprit de ces personnes, cependant, moi, M. Untel, je trouve ce comportement si inconnu, si étrange, j'avoue être tout à fait incapable d'imaginer ce que ces personnes ont en tête pour justifier un tel crime.

Quelques articles ont détaillé des cas où le prédateur sexuel est arrivé à perpétrer une série de crimes sans être capturé. Malgré plusieurs disparus, la police ne parvenait pas à recouper les indices pour confondre le responsable de ces horreurs. Et bien sûr, quelle horreur de découvrir que la personne en question vivait ici, dans nos villes, parmi nous sans que nous sachions qu'il s'agissait d'un criminel.





Deux ou trois fois maintenant, j'ai vu une de ces émissions sur la nature à la télévision qui montre la chasse d'un troupeau de gazelles par une troupe de lions. Les naturalistes sont parvenus à filmer comment les lions se cachent dans les hautes herbes autour des gazelles qui sont en train de brouter. Patiemment, les lions attendent qu'une gazelle s'égare un peu trop du reste du troupeau et soudain un des lions sort de l'herbe, tombe sur la gazelle et l'entraîne dans l'herbe. L'exécution de ce mouvement est si rapide que les autres gazelles ne sont pas conscientes de ce qui vient de se passer aux bords du troupeau. Même s'il y a un peu de bruit, quand des gazelles se lèvent la tête pour voir d'où vient le bruit, il n'y a rien à voir.

En regardant cette scène, j'ai fait un lien entre le troupeau de gazelles et notre société. Une ou deux gazelles pourraient remarquer l'absence d'une de leurs semblables sans s'en inquiéter. « Où est Fred ? - Je ne sais pas. Il était ici il y a juste un moment. » De la même manière, une ou deux personnes de notre société pourraient remarquer l'absence de quelqu'un allant même jusqu'à appeler la police. Toutefois, au niveau du troupeau, au niveau de la société, la plupart des gens continuent à mener leurs vies. Nous ne sommes pas touchés directement par la perte d'une personne.

Dans cette métaphore, les lions représentent évidemment ces prédateurs dans notre société. En sommes-nous conscient ? Sommes-nous prêts à faire quelque chose ?

À une échelle mondiale, on peut mettre en avant des guerres, la traite des blanches, la traite des noirs, l'esclavage en général, le trafic de drogue, les prédateurs sexuels; la liste est sans fin, mais nous revenons sur le fait qu'en général, nous, la société, nous qualifions le nombre de disparus d'acceptable. Pourquoi acceptable ? Parce que pour la plupart nous ne réagissons pas, sauf dans les cas où nous sommes touchés personnellement.

Je pense à la Une de mon journal, à mon carton de lait. Où sont ces personnes, ces disparus ? Qui sont-ils ? Qu'est-ce qui leur est arrivé ? Est-ce que je le saurai un jour ? Probablement pas.

2009-11-25

vendredi 20 novembre 2009

Sous mon nez


Sous mon nez ... au-dessus de ma tête ... Puis-je toujours voir ce qui est juste devant moi ?

Une fois, il y a des années, j'ai amené nos deux petits chiens, les Shih Tzu au parc pour une de nos promenades journalières. À l'entrée du parc, on avait érigé une petite barrière pour empêcher l'entrée des bicyclettes, des motocyclettes et d'autres véhicules motorisés. Cette barrière comprenait deux arcs espacés l'un de l'autre et il y avait assez d'espace pour marcher entre les arcs mais pas assez d'espace pour faire passer un véhicule. Chaque fois que nous arrivions à la barrière, les deux chiens marchaient en dessous des arcs tandis que je devais marcher entre les deux arcs. Puisque je tenais les laisses à la main, j'étais obligé de passer les laisses en dessous de la barrière d'une main à l'autre.

Il m'est venu à l'esprit que pour les chiens, la barrière n'existait pas. Ils étaient si petits qu'ils étaient capables de marcher en dessous de la barrière. La barrière ne servait à rien, elle ne les empêchait pas d'avoir accès au parc. Évidemment, pour moi, la barrière était complètement réelle et je devais la contourner pour accéder au parc.

En cogitant sur les chiens et la barrière, je me suis posé la question de savoir s'il y a des choses que je ne vois pas. C'est un peu curieux de se poser une telle question parce qu'on arrive à un paradoxe où l'on se demande comment on peut voir ce qu'on ne peut pas voir. Peut-être qu'il n'est pas question de ne pas être capable de voir ces choses, mais tout comme les chiens, le problème serait que je ne regarde pas en haut, au-dessus de ma tête. Ou, comme les chiens, si je regarde en haut, peut-être que je ne comprends pas ce que je vois.

Remarquons les trois cas ci-dessous :
  • Numéro un : Je suis incapable de voir quelque chose. Cette chose est trop loin, elle est invisible, peut-être est-elle trop grande ou trop petite. Je peux dire que cette incapacité de voir est une limitation physique, une limitation que je surmonte en utilisant quelque chose qui m'aide à mieux voir, par exemple un télescope ou un microscope.
  • Numéro deux : Je suis si préoccupé par ma propre vie, je ne prends jamais le temps de regarder telle ou telle chose. Je suis obligé de gagner ma vie, j'ai des enfants, je m'occupe du foyer, il y a le train-train de la vie quotidienne qui capte mon attention et je n'ai pas le temps de m'arrêter pour regarder quelque chose ou je suis tout simplement trop fatigué pour le faire.
  • Numéro trois : Même si je regarde quelque chose, je ne comprends pas ce que je vois. La barrière est tout à fait incompréhensible pour mes deux chiens et je peux mettre en avant la petite taille de leurs cerveaux. Pourtant je pense que nous pouvons dire que la même idée est applicable à nous tous, y compris à nos cerveaux ! Par exemple, nous avons découvert le feu. Nous avons créé la roue. Nous savons maintenant que la Terre tourne autour du Soleil. En ce moment, toutes ces choses semblent toutes naturelles, néanmoins, à tel ou tel moment, nous n'avions pas de feu, ni de roue et nous pensions que le Soleil tournait autour de la Terre.

En résumé, je peux ne pas faire attention à telle ou telle chose en raison d'une limitation physique, d'un manque de temps ou d'une inaptitude à comprendre.

Limitation physique
Je pense que le cas d'une limitation physique est assez facile à comprendre. Je prends un microscope et je vois ce que je ne voyais pas, je vois le trop petit. Je prends des jumelles et je vois ce que je voyais mal ou pas du tout, je vois ce qui est trop loin. Je prends un télescope et je vois ce qui est bien sûr hors de mon champ visuel.

Je peux même élargir ce concept pour inclure un appareil photographique. Je prends une photo et je préserve ce que je vois, ce qui me permet d'étudier la scène afin de relever éventuellement des détails que je n'aurais pas vus la première fois.

La caméra me donne la possibilité de capter le mouvement de la vie elle-même. Remarquez que je ne parle pas des fictions, je parle juste du processus de capter le mouvement. De la même façon que je peux étudier les détails d'une photo, je peux étudier les détails du mouvement pour voir ce qui m'aurait échappé la première fois.

La caméra me fait penser aussi aux techniques de l'accéléré et du ralenti, même à celle de la marche arrière qui me permettent de voir un aspect du mouvement qui pourrait être hors de ma faculté de perception. Il y a des choses qui se déroulent trop vite ou trop lentement pour que je puisse les apercevoir : un oiseau-mouche qui bat des ailes jusqu'à 80 fois par seconde, une balle qui traverse une pomme à une vitesse de trois mille kilomètres à l'heure, un bourgeon qui s'ouvre pendant une heure ou la construction d'un édifice qui se déroule pendant des mois, voire des années. Bien que je puisse voir toutes ces choses, la lenteur ou la vitesse de l'action rend le phénomène presque imperceptible et la caméra me le laisse voir.

Pour conclure, je peux dire que nous, les êtres humains, souffrons d'une certaine limitation physique. Toutefois, nous parvenons à améliorer nos facultés sensorielles en employant des outils technologiques qui nous permettent de « connaître » ce qui est hors de la portée de nos sens.

Manque de temps
Le cas d'un manque de temps est assurément une caractéristique de la vie moderne et son caractère pressé. Je me dépêche tellement, je ne m'arrête jamais pour regarder quelque chose de nouveau. J'éprouve tellement le besoin constant de compléter telle ou telle tâche que j'oublie de mettre de côté assez de temps pour réfléchir sur comment compléter cette tâche.

Une fois que j'allais quelque part en voiture, j'ai roulé sur un morceau de béton dans la rue. Le morceau était si grand qu'il a crevé le pneu. J'ai eu juste assez de temps de trouver un parking devant un magasin avant que le pneu ne soit tout à fait dégonflé. À cette époque, j'étais membre de l'Association canadienne des automobilistes et de ce fait, j'avais la possibilité de téléphoner à l'un des centres de service de l'ACA pour demander de l'aide. Par exemple, je pouvais me faire remorquer à un garage de mon choix. Malheureusement, l'heure à laquelle j'ai téléphoné était « l'heure de pointe » du service routier d'urgence et j'ai découvert que je devais attendre au moins une heure, peut-être une heure et demie avant qu'une dépanneuse n'arrive pour m'aider. Alors j'ai pensé aller dans un restaurant pour prendre un café et lire un journal cependant l'idée d'attendre aussi longtemps qu'une heure et demie m'ennuyait.

J'ai donc décidé d'essayer de changer le pneu moi-même. Je ne l'avais pas fait depuis vingt ans mais j'avais hâte de continuer ma route. J'ai sorti le cric, d'un genre que je n'avais jamais vu, j'ai lu un manuel et en une vingtaine de minutes, je suis arrivé à monter le pneu de rechange; la première fois en presque vingt-cinq ans. J'ai téléphoné à l'ACA pour dire que je n'avais plus besoin de leurs services et je suis parti.

En raison de ma situation, j'ai été forcé de prendre le temps nécessaire pour étudier le problème et le résoudre.

L'autre jour, je rentrais assez vite après être sorti du métro. Pour telle ou telle raison, je me suis arrêté pour regarder le soleil à travers le feuillage d'un arbre. Tout à coup, je me suis rendu compte que cet arbre faisait partie d'un joli petit parc, un terrain aménagé en centre ville par la ville elle-même pour le bienfait du public. J'y suis entré par un portillon, j'ai flâné un peu, j'ai lu une plaque historique sur quelque événement d'importance dans l'histoire du Canada. En raison de mon arrêt, j'ai découvert un agrément de la vie en ville que je n'avais jamais vu auparavant.

Les deux exemples personnels que je viens de raconter sont liés à ce manque de temps que j'ai déjà fait remarquer. Qu'est-ce que je ne comprends pas, que je ne fais pas, que je ne vois pas parce que je ne prends tout simplement pas le temps pour le faire ?

Inaptitude à comprendre
Enfin, cas numéro trois, nous entamons la question des bornes de notre intelligence, la question de notre inaptitude à comprendre. Aujourd'hui, nous avons l'énergie nucléaire toutefois ça ne fait pas si longtemps que le nucléaire n'était qu'un concept, pas une réalité. Aujourd'hui, nous avons l'Internet comme forme de communication mais avant les années 90, le téléphone était roi. Maintenant, au moment présent, qu'est-ce qui nous reste à découvrir, qu'est-ce qui est ici juste devant nos yeux que nous ne comprenons pas ?

Malgré l'avancement de notre vie, c'est peu dire qu'il y a beaucoup de choses que nous ne comprenons pas et par manque de compréhension, nous ne faisons pas ces choses, nous ne les avons pas encore faites. Mon père m'a expliqué que quand il était enfant pendant les années 1930, sa famille n'avait pas de toilettes dans la maison, ni d'eau courante. Il pouvait encore se rappeler le moment où son père avait fait installer la plomberie. Pour moi la plomberie est quelque chose qui va de soi, je n'y pense jamais, mais comparativement à toute notre histoire, l'histoire de la race humaine, c'est nouveau.

Je considère un avion comme allant de soi. Je viens de prendre des vacances et ce mode de transport en faisait partie intégrale, pourtant ça ne fait pas si longtemps que mes ancêtres ne voyaient que les oiseaux voler. Je lis à la Une assez souvent des articles sur la station spatiale internationale. Si pas moi, mes enfants vont-ils avoir l'occasion de visiter l'espace, de visiter une autre planète ? Je regarde des informations sur le concept de la fusion froide et l'idée qu'elle pourrait représenter une source inépuisable d'énergie. Vais-je la voir de mon vivant ou pourrais-je voir la découverte d'une autre source d'énergie qui pourrait être par définition inépuisable ?

Mes chiens et moi
Pour mes chiens, la barrière n'existe pas. Cependant, je peux dire que la barrière existe vraiment même si les chiens ne la reconnaissent pas. Cela veut dire que la barrière a une existence indépendante de sa reconnaissance. Je reviens sur cette question métaphysique que je trouve très amusante : un arbre fait-il du bruit s'il tombe dans une forêt où il n'y a personne pour l'entendre ?

Appliquant cette idée à moi-même, j'arrive soudain à me rendre compte qu'il doit exister autour de moi des choses dont je ne suis pas du tout conscient. Mais quoi ? Voilà le paradoxe : comment puis-je voir ce que je ne peux pas voir ?

Je me rappelle une citation de Isaac Newton : « Il me semble n'avoir été qu'un enfant jouant sur la plage, tandis que le vaste océan de la vérité s'étendait inexploré devant moi. »

2009-11-18