vendredi 20 novembre 2009

Sous mon nez


Sous mon nez ... au-dessus de ma tête ... Puis-je toujours voir ce qui est juste devant moi ?

Une fois, il y a des années, j'ai amené nos deux petits chiens, les Shih Tzu au parc pour une de nos promenades journalières. À l'entrée du parc, on avait érigé une petite barrière pour empêcher l'entrée des bicyclettes, des motocyclettes et d'autres véhicules motorisés. Cette barrière comprenait deux arcs espacés l'un de l'autre et il y avait assez d'espace pour marcher entre les arcs mais pas assez d'espace pour faire passer un véhicule. Chaque fois que nous arrivions à la barrière, les deux chiens marchaient en dessous des arcs tandis que je devais marcher entre les deux arcs. Puisque je tenais les laisses à la main, j'étais obligé de passer les laisses en dessous de la barrière d'une main à l'autre.

Il m'est venu à l'esprit que pour les chiens, la barrière n'existait pas. Ils étaient si petits qu'ils étaient capables de marcher en dessous de la barrière. La barrière ne servait à rien, elle ne les empêchait pas d'avoir accès au parc. Évidemment, pour moi, la barrière était complètement réelle et je devais la contourner pour accéder au parc.

En cogitant sur les chiens et la barrière, je me suis posé la question de savoir s'il y a des choses que je ne vois pas. C'est un peu curieux de se poser une telle question parce qu'on arrive à un paradoxe où l'on se demande comment on peut voir ce qu'on ne peut pas voir. Peut-être qu'il n'est pas question de ne pas être capable de voir ces choses, mais tout comme les chiens, le problème serait que je ne regarde pas en haut, au-dessus de ma tête. Ou, comme les chiens, si je regarde en haut, peut-être que je ne comprends pas ce que je vois.

Remarquons les trois cas ci-dessous :
  • Numéro un : Je suis incapable de voir quelque chose. Cette chose est trop loin, elle est invisible, peut-être est-elle trop grande ou trop petite. Je peux dire que cette incapacité de voir est une limitation physique, une limitation que je surmonte en utilisant quelque chose qui m'aide à mieux voir, par exemple un télescope ou un microscope.
  • Numéro deux : Je suis si préoccupé par ma propre vie, je ne prends jamais le temps de regarder telle ou telle chose. Je suis obligé de gagner ma vie, j'ai des enfants, je m'occupe du foyer, il y a le train-train de la vie quotidienne qui capte mon attention et je n'ai pas le temps de m'arrêter pour regarder quelque chose ou je suis tout simplement trop fatigué pour le faire.
  • Numéro trois : Même si je regarde quelque chose, je ne comprends pas ce que je vois. La barrière est tout à fait incompréhensible pour mes deux chiens et je peux mettre en avant la petite taille de leurs cerveaux. Pourtant je pense que nous pouvons dire que la même idée est applicable à nous tous, y compris à nos cerveaux ! Par exemple, nous avons découvert le feu. Nous avons créé la roue. Nous savons maintenant que la Terre tourne autour du Soleil. En ce moment, toutes ces choses semblent toutes naturelles, néanmoins, à tel ou tel moment, nous n'avions pas de feu, ni de roue et nous pensions que le Soleil tournait autour de la Terre.

En résumé, je peux ne pas faire attention à telle ou telle chose en raison d'une limitation physique, d'un manque de temps ou d'une inaptitude à comprendre.

Limitation physique
Je pense que le cas d'une limitation physique est assez facile à comprendre. Je prends un microscope et je vois ce que je ne voyais pas, je vois le trop petit. Je prends des jumelles et je vois ce que je voyais mal ou pas du tout, je vois ce qui est trop loin. Je prends un télescope et je vois ce qui est bien sûr hors de mon champ visuel.

Je peux même élargir ce concept pour inclure un appareil photographique. Je prends une photo et je préserve ce que je vois, ce qui me permet d'étudier la scène afin de relever éventuellement des détails que je n'aurais pas vus la première fois.

La caméra me donne la possibilité de capter le mouvement de la vie elle-même. Remarquez que je ne parle pas des fictions, je parle juste du processus de capter le mouvement. De la même façon que je peux étudier les détails d'une photo, je peux étudier les détails du mouvement pour voir ce qui m'aurait échappé la première fois.

La caméra me fait penser aussi aux techniques de l'accéléré et du ralenti, même à celle de la marche arrière qui me permettent de voir un aspect du mouvement qui pourrait être hors de ma faculté de perception. Il y a des choses qui se déroulent trop vite ou trop lentement pour que je puisse les apercevoir : un oiseau-mouche qui bat des ailes jusqu'à 80 fois par seconde, une balle qui traverse une pomme à une vitesse de trois mille kilomètres à l'heure, un bourgeon qui s'ouvre pendant une heure ou la construction d'un édifice qui se déroule pendant des mois, voire des années. Bien que je puisse voir toutes ces choses, la lenteur ou la vitesse de l'action rend le phénomène presque imperceptible et la caméra me le laisse voir.

Pour conclure, je peux dire que nous, les êtres humains, souffrons d'une certaine limitation physique. Toutefois, nous parvenons à améliorer nos facultés sensorielles en employant des outils technologiques qui nous permettent de « connaître » ce qui est hors de la portée de nos sens.

Manque de temps
Le cas d'un manque de temps est assurément une caractéristique de la vie moderne et son caractère pressé. Je me dépêche tellement, je ne m'arrête jamais pour regarder quelque chose de nouveau. J'éprouve tellement le besoin constant de compléter telle ou telle tâche que j'oublie de mettre de côté assez de temps pour réfléchir sur comment compléter cette tâche.

Une fois que j'allais quelque part en voiture, j'ai roulé sur un morceau de béton dans la rue. Le morceau était si grand qu'il a crevé le pneu. J'ai eu juste assez de temps de trouver un parking devant un magasin avant que le pneu ne soit tout à fait dégonflé. À cette époque, j'étais membre de l'Association canadienne des automobilistes et de ce fait, j'avais la possibilité de téléphoner à l'un des centres de service de l'ACA pour demander de l'aide. Par exemple, je pouvais me faire remorquer à un garage de mon choix. Malheureusement, l'heure à laquelle j'ai téléphoné était « l'heure de pointe » du service routier d'urgence et j'ai découvert que je devais attendre au moins une heure, peut-être une heure et demie avant qu'une dépanneuse n'arrive pour m'aider. Alors j'ai pensé aller dans un restaurant pour prendre un café et lire un journal cependant l'idée d'attendre aussi longtemps qu'une heure et demie m'ennuyait.

J'ai donc décidé d'essayer de changer le pneu moi-même. Je ne l'avais pas fait depuis vingt ans mais j'avais hâte de continuer ma route. J'ai sorti le cric, d'un genre que je n'avais jamais vu, j'ai lu un manuel et en une vingtaine de minutes, je suis arrivé à monter le pneu de rechange; la première fois en presque vingt-cinq ans. J'ai téléphoné à l'ACA pour dire que je n'avais plus besoin de leurs services et je suis parti.

En raison de ma situation, j'ai été forcé de prendre le temps nécessaire pour étudier le problème et le résoudre.

L'autre jour, je rentrais assez vite après être sorti du métro. Pour telle ou telle raison, je me suis arrêté pour regarder le soleil à travers le feuillage d'un arbre. Tout à coup, je me suis rendu compte que cet arbre faisait partie d'un joli petit parc, un terrain aménagé en centre ville par la ville elle-même pour le bienfait du public. J'y suis entré par un portillon, j'ai flâné un peu, j'ai lu une plaque historique sur quelque événement d'importance dans l'histoire du Canada. En raison de mon arrêt, j'ai découvert un agrément de la vie en ville que je n'avais jamais vu auparavant.

Les deux exemples personnels que je viens de raconter sont liés à ce manque de temps que j'ai déjà fait remarquer. Qu'est-ce que je ne comprends pas, que je ne fais pas, que je ne vois pas parce que je ne prends tout simplement pas le temps pour le faire ?

Inaptitude à comprendre
Enfin, cas numéro trois, nous entamons la question des bornes de notre intelligence, la question de notre inaptitude à comprendre. Aujourd'hui, nous avons l'énergie nucléaire toutefois ça ne fait pas si longtemps que le nucléaire n'était qu'un concept, pas une réalité. Aujourd'hui, nous avons l'Internet comme forme de communication mais avant les années 90, le téléphone était roi. Maintenant, au moment présent, qu'est-ce qui nous reste à découvrir, qu'est-ce qui est ici juste devant nos yeux que nous ne comprenons pas ?

Malgré l'avancement de notre vie, c'est peu dire qu'il y a beaucoup de choses que nous ne comprenons pas et par manque de compréhension, nous ne faisons pas ces choses, nous ne les avons pas encore faites. Mon père m'a expliqué que quand il était enfant pendant les années 1930, sa famille n'avait pas de toilettes dans la maison, ni d'eau courante. Il pouvait encore se rappeler le moment où son père avait fait installer la plomberie. Pour moi la plomberie est quelque chose qui va de soi, je n'y pense jamais, mais comparativement à toute notre histoire, l'histoire de la race humaine, c'est nouveau.

Je considère un avion comme allant de soi. Je viens de prendre des vacances et ce mode de transport en faisait partie intégrale, pourtant ça ne fait pas si longtemps que mes ancêtres ne voyaient que les oiseaux voler. Je lis à la Une assez souvent des articles sur la station spatiale internationale. Si pas moi, mes enfants vont-ils avoir l'occasion de visiter l'espace, de visiter une autre planète ? Je regarde des informations sur le concept de la fusion froide et l'idée qu'elle pourrait représenter une source inépuisable d'énergie. Vais-je la voir de mon vivant ou pourrais-je voir la découverte d'une autre source d'énergie qui pourrait être par définition inépuisable ?

Mes chiens et moi
Pour mes chiens, la barrière n'existe pas. Cependant, je peux dire que la barrière existe vraiment même si les chiens ne la reconnaissent pas. Cela veut dire que la barrière a une existence indépendante de sa reconnaissance. Je reviens sur cette question métaphysique que je trouve très amusante : un arbre fait-il du bruit s'il tombe dans une forêt où il n'y a personne pour l'entendre ?

Appliquant cette idée à moi-même, j'arrive soudain à me rendre compte qu'il doit exister autour de moi des choses dont je ne suis pas du tout conscient. Mais quoi ? Voilà le paradoxe : comment puis-je voir ce que je ne peux pas voir ?

Je me rappelle une citation de Isaac Newton : « Il me semble n'avoir été qu'un enfant jouant sur la plage, tandis que le vaste océan de la vérité s'étendait inexploré devant moi. »

2009-11-18

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