samedi 19 décembre 2009

La Mort de mon père

Mon père est mort le 13 janvier, 2004 à 16h45 à peu près. J'étais là au moment du dernier battement de son cœur, à côté de son lit dans l'unité de soins intensifs à l'hôpital. Le moniteur cardiaque a signalé une baisse du pouls; une infirmière est arrivée pour vérifier l'appareil et m'a dit que c'était la fin. Nous avons regardé le nombre de pulsations diminuer pendant les trois minutes finales jusqu'à ce que le tracé ne soit plus qu'une ligne plate.

Pendant ces trois dernières minutes, je me souviens avoir éprouvé une grande panique. Mon père était en train de mourir juste devant moi et c'était vraiment le dernier moment de mon vivant où je pouvais parler avec lui. Il était encore en vie mais en un instant, il serait mort. À la réflexion, même si je lui parlais, je suis certain qu'il ne pouvait pas m'entendre. Je ne sais même pas s'il était conscient. Le cœur faiblissait, le sang devait certainement moins bien circuler, son cerveau avait-il même assez d'oxygène pour fonctionner ? J'en doute.

Quand j'ai vu le tracé du moniteur cardiaque indiquer qu'il n'y avait plus de battements de cœur, je me rappelle que j'ai pensé « Mince, c'est fini ! » J'en étais ahuri, stupéfait. Après avoir passé toute ma vie en compagnie de mon père, de cet homme, j'étais maintenant obligé de continuer sans lui. Il n'existait plus. Devant moi, bien sûr, il y avait le corps de mon père, mais ce n'était qu'un corps, ce n'était plus mon père.

J'avais une forte impression de déjà-vu. Quand j'étais enfant, toute la famille passait chaque été deux ou trois semaines dans un chalet de plage. À la fin de nos vacances, nous faisions nos bagages, nous montions en voiture et nous repartions chez nous. Je regardais le chalet à travers la lunette arrière. Il devenait de plus en plus petit au fur et à mesure que la voiture s'en éloignait, jusqu'à disparaître complètement. J'avais un fort sentiment de nostalgie; je ne voulais pas quitter le chalet néanmoins je devais le faire parce qu'il m'était nécessaire d'aller ailleurs. Toutes les bonnes choses ont une fin.

C'était ce même sentiment de nostalgie que j éprouvais assis au chevet de mon père. Toutefois je ne m'éloignais pas d'une manière physique, il n'y avait pas de déplacement en voiture, je m'éloignais de mon père dans le temps. Sa vie s'était arrêtée, mais la mienne continuait. Avec chaque minute après sa mort, la distance, le temps entre nous « s'agrandissait ». Comme j'avais regardé à travers la lunette arrière le chalet disparaître dans la distance, je regardais mon père disparaître dans le passé.

Au cours des années, j'ai entendu parler du concept de la vie après la mort. Est-il vrai ou non ? Mon père est-il encore vivant quelque part, était-il encore vivant au moment où j'étais assis à côté de son corps ? Je ne sais pas. Cependant, il m'était venu à l'esprit que dans un certain sens, oui, il était encore en vie dans mes souvenirs. Le corporel était parti, mais l'image, sa mémoire existait toujours. Dans ce sens, si je pouvais garder le souvenir de mon père, il continuerait à vivre. Mais on sait très bien qu'avec le temps, un souvenir devient flou et parfois s'efface.

L'infirmière a quitté la chambre d'hôpital et je me suis retrouvé seul. J'ai remarqué que les yeux de mon père étaient encore à moitié ouverts. J'avais vu plusieurs fois dans des films quelqu'un fermer les yeux d'un défunt en glissant la main sur les paupières. En regardant ces scènes, j'avais l'impression que c'était assez facile de le faire. J'ai essayé de faire la même chose et ça n'a pas marché. J'ai deviné que les muscles étaient devenus un peu raides après la mort et peut-être ce que j'avais vu dans les films, n'était pas tout à fait vrai. J'ai essayé à nouveau en appliquant un peu plus de pression sur les paupières toutefois je ne suis pas arrivé à fermer les yeux. Quoi faire d'autre ? C'était curieux de toucher le corps de mon père. Une fois que quelqu'un est mort, nous semblons ne plus vouloir le toucher. La mort est une chose à éviter.

Un de mes amis d'adolescence est devenu policier au sein de la Gendarmerie royale du Canada. Il m'a raconté comment un jour, il a répondu à un appel d'urgence qui impliquait un accident routier. C'était un dimanche matin, il devait être 9h ou 10h. En arrivant sur les lieux, il a découvert un homme au bord de la route qui avait été éjecté de sa voiture. Mon ami s'est précipité auprès de l'accidenté pour le secourir. Mon ami avait la tête de l'accidenté sur son giron quand l'homme a poussé un soupir et est mort, sa tête encore sur les genoux de mon ami. Mon ami m'a décrit comment la situation lui avait semblé insolite. Cet homme venait de mourir et cependant la vie continuait. Il y avait du soleil. Au-dessus de sa tête, mon ami pouvait entendre le pépiement des oiseaux. À part les deux voitures impliquées dans cet accident, c'était une matinée agréable.

Au chevet de mon père, je pensais à cette histoire. Je ressentais cette tristesse que l'on ressent quand on perd quelqu'un tout en reconnaissant que la vie continue. La chambre d'hôpital était silencieuse. Je pouvais entendre des voix dans le couloir mais je ne pouvais pas comprendre ce qu'on disait. À un moment, j'ai entendu rire des infirmières et j'ai compris qu'ailleurs, pour ces autres, c'était une autre journée au boulot, un autre poste de huit heures où on s'occupait des patients, des vivants et même des morts. Malgré la fin d'une vie, nous autres continuons à mener nos propres vies.


2009-12-05

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